Tripad…vaurien…

À mort TripAdvisor !

Cette semaine, le Concierge Masqué se penche sur le phénomène de chantage minable exercé par les clients des restaurants et des hôtels et planté à grands coups de critiques incendiaires sur TripAdvisor, cette dictature des ploucs.

Dix-huit ans que ça dure. Dix-huit ans de micro-terrorisme et de succès mondial, bâti à grands coups de faux commentaires, de référencements bidons, et de méthodes peu orthodoxes, dûment sanctionnés par de lourdes condamnations. Pluie d’amendes colossales, mais les centaines de milliers d’euros et de dollars, au finish, pour TripAdvisor, c’est même pas mal. Goliath du web et branche du géant Expedia, TripAdvisor brandit des chiffres étourdissants, même en Chine. Aux dernières nouvelles, il y aurait plus de 550 millions d’avis et opinions déposés par les clients des restaurants, des hôtels et autres structures de loisir, fôtes d’ortaugraf compriz. TripAdvisor s’est choisi un beau logo : une tête de chouette avec un oeil rouge et un oeil vert. Pas loin du sapin déodo de voiture chéri des commerciaux sur zône. À bien la scruter, l’image, autocollée sur toutes les vitrines du moindre boui-boui cracra, évoque une sorte de « aie confiaaaaance » du serpent Kaa dans le Livre de la Jungle. Bingo ! TripAdvisor est une jungle. Pire : une boîte noire bourrée d’algorithmes et de mystères insondables. Un dark side of the web devenu une menace insupportable au regard des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration, partis en guerre genre pot de terre contre pot de fer, et livrant bataille, sinon escarmouche, chaque jour au comptoir, à table, et au moment de régler la note.

En réalité, TripAdvisor n’a rien inventé. Avant internet, il existait un guide de restaurants américain qui profilait déjà cette connerie de démocratie participative au service du client par le client. En gros, comment remplir un bouquin sans payer personne. Le Zagatque ça s’appellait. Fondé à la fin des seventies par un couple sympa, Tim et Nina Zagat, ce guide de poche format chéquier vertical, fonctionnait par fiches remplies par des clients bénévoles triés sur bonne volonté. Joli succès, rien de bouleversifiant, d’autant que les avis formulés par des housewifes middle age cassaient pas trois pattes à un canard. Genre : j’ai aimé mais j’ai pas aimé. Ben faudrait savoir Hildegarde : tu like ou tu like pas ? Et puis les Zagat ont lancé un guide Paris. En Français. Rien que ça. Et là, le gadin, la gaffe, la no-credibility totale. Soirée de presse, grand-hôtel, wonderful. Quelques journalistes présents, odieux personnages évidemment, eurent l’idée fumeuse d’ouvrir le guide. Et là, première page, premier couac : pour les zagateux, le meilleur restaurant qualité-prix de Paris était le… Kentucky Fried Chicken de la place de la République. Ou un truc dans le genre. À bien lire la suite, aucun avis, traduit avec les pieds par une certaine Mary Blanchard (elle bossait au Vogue Hommes) qui n’a jamais su qu’elle portait le même nom qu’une starlette hollywoodienne des fifties, émanait d’un ou d’une française. Yankees only. On vit d’ici le niveau…Bon, personne ne fut obligé d’en acheter et on a tous survécu à cet affront proto-trumpien.

Cette idée de juger les autres à l’aune de sa petite expérience n’est donc pas nouvelle. C’est le gabarit du support qui a changé, avec promesse permanente d’aubaines, de remises, de rabais, de discount, de bons plans, de toujours moins cher pour plus d’expérience. Au finish, ce n’est pas le laudatif qui prévaut mais le flacide rancunier. Une vieille clé psychologique : le lecteur se met toujours du côté du consommateur victime des abus du méchant Thénardier. Victor Hugo ne racontait pas autre chose dans Les Misérables. À lire les pauvres avis déposés sur TripAdvisor et autres sites, la France est une nation de Cosette. Doublée d’un pays de gratteurs aux goûts médiocres et de maîtres-chanteurs planqués derrière des pseudos de pignoufs incultes. À leur tête, le Général Advizor, cousin avatar du général Alcazar dans Tintin. Noir bazar, tout et n’importe quoi, TripAdvisor, c’est la mini-dictature du moi-même, une tromperie légitimée par la twittomania de Trump. Lire ici les Dossiers du Canard Enchaîné, intitulé Les dingos du pouvoir. Page 33, l’encadré La Diagonale des fous, emballe l’affaire en quelques lignes bien frappées sur la question.

Quelques perles, relevées ça et là…

-La plus célèbre : celle du faux restaurant anglais, le Shed at Duldwich, inventé de toutes pièces par un journaliste du magazine Vice avec photos des plats fusion – des pastilles de javel et de la mousse à raser -, des commentaires méga-élogieux. Le gaillard savait ce qu’il faisait : il a avoué avoir écrit, et été payé pour ça, des tas de faux commentaires et critiques pour le compte d’un site concurrent. Coup de folie : des clients jamais venus et pour cause, déposeront leurs avis. C’est Libération qui en parlera le mieux, une fois la supercherie éventée, tandis que Général Advizor restera de marbre. Même chose à propos du faux resto étoilé italien La Scaletta – il en existait un du même nom à Milan qui venait de fermer, donc, commode et encore plausible. Toujours à Londres, l’abri pour sans-abris vanté comme un nouveau 5 étoiles a fait rire la Terre entière.

-En 2016, Marina O’Loughlin, journaliste au Guardian, calmement énervée, dénonçait tout ce cirque avec force arguments, imparables, pour conclure que ce qui la gênait vraiment dans Trip Advisor, ce n’était pas l’avididé et l’agressivité de tous ces anonymes, c’était la merde idéologique que ça charriait. Et là, Steve Kaufer, one of ze big boss, a enfin daigné lever une paupière et lui a vertement repondu. Les clients, la confiance, bla bla bli bli. Le serpent du Livre de la Jungle en action. Aime pas la critique contre lui.

-Recherché les 5 meilleurs hôtels à Sagone en Corse. En 2ème place : le Libbiu. Bien vu ! L’hôtel est fermé depuis plus d’un an. Comme il n’y a pas bézef dans la région, le Général Advizor n’hésite pas à lister le Domaine de Murtoli dans les parages. 63,5km. En avion et en ligne droite. Doivent pavoiser à Murtoli. Les ultimes avis datent de 2012. Et pas le genre de la clientèle à advisorer derechef.

-Remarqué que TA élimine systématiquement toute allusion à une quelconque contextualisation des établissements. Isolés, ils sont débranchés de leur tropisme, louable ou calamiteux. Paraît que c’est pour plus d’équité. Et ta soeur, elle monte à cheval ?

-Recherché les dix meilleurs hôtels à Ajaccio en Corse. En plein milieu, l’Ibis ! On se fout de qui et de quoi là ? Savez où il est l’Ibis ? Z’avez vu la gueule du bâtiment ? Un bunker en plein carrefour. Pas loin du port ceci-dedit. Ça peut dépanner…

-Dans la série je loue-j’arnaque et j’échappe aux algorithmes, cette Bretonne de Calcatoggio, toujours en Corse, qui loue via le Bon Coin une baraque pas finie avec piscine et clim : il faut juste payer en plus les télécommandes des splits de l’air conditionné (en pleine canicule) et raquer des suppléments si les locataires invitent des amis à profiter de la dite-piscine, plus proche du pédiluve que du couloir de nage effet miroir. Une rebelle, la bigouden.

-Pas tous blanc/bleu les hôteliers : certains, pas gênés aux entournures, payent des boîtes basée à l’île Maurice spécialisées dans les avis et critiques ultra-élogieux.

-Repéré sur le top ten des meilleurs restos à Paris selon Général Advizor: Frenchy Taste by Jean-Yves Le Chef. En clair: un cuistot particulier à domicile. Une incursion autorisée depuis la prise de participation par TA de la plate-forme EatWith spécialisée dans les chefs à domicile ou les apparts-restos clandestins. Tant qu’on y est, ils n’ont qu’à placer mon boucher aussi. Fait : à Rome, une simple boucherie figure dans le top-ten des meilleurs restos… Fiable et vafanculo les veganes.

-Entendu récemment par des voyageurs high-frequency : un verre de vin gratos si ces messieurs-dames voulaient bien orienter « très » positivement leur avis sur TA. Une condition : là, tout de suite. Vendus et alcooliques, donc…

-Il existait déjà toute une batterie de menaces brandies par des clients mécontents tentant d’obtenir un rabais, une considération : les plus classiques étaient « J’ai voyagé dans le monde entier, je n’ai jamais vu ça ! » et « J’ai l’habitude de fréquenter les meilleurs hôtels, jamais on ne m’a traité(e) comme ça ! ». Depuis une dizaine d’années, le « je suis avocat » tient la corde, avec pour base-line « j’ai obtenu des dommages et intérêts de Ducasse ! ». On aimerait voir ça, mon coco. Mais depuis deux ans, c’est « si vous ne m’arrangez pas, je vous plante un avis au vitriol sur Tripadwizor ». Chantage et cie…

-Chantage, justement. Les agissements et menaces du petit peuple à qui on a donné ce pouvoir reste impuni car aucun contre-pouvoir n’a été mis en place. Fait exprès. TA c’est Mélenchon en mode lifestyle. Tartuffe comme pas deux, les têtes d’œuf de chez Expedia, la maison-mère de TripAdvisor, ont mis en place, après leur label « suspicious activity », une option « Alerte au Chantage » généreusement offerte aux professionnels visés par ces scuds odieux. Sauf que 4 fois sur 5, ça marche pas vu qu’il faut renseigner le vrai nom et/ou le vrai mail du maître-chanteur qui a préféré utiliser celui de sa femme ou de ses enfants en boucliers humains. Courageux avec ça.

-Une Allemande revêche a tapé un scandale voilà quelques jours sur la terrasse d’un restaurant gastronomique d’Ajaccio sous prétexte que le poisson du jour était trop petit. Cartes de membership à divers groupes hôteliers branchés sur le all-you-can-eat en buffet, elle a menacé le patron de toutes les foudres wagnériennes. Pour ne pas payer. Elle a été ramenée à l’aéroport couverte de pâté de chez Antona. C’est pour ne pas payer, avoir un rabais, obtenir une remise ou être remboursés que les clients advisoristes pratiquent le chantage. Toujours la même histoire, quoi. Autrefois, on appelait ça la grivèlerie et la loi punissait ce délit. Tout fout le camp, ma bonne dame.

-L’Hôtel Castel-Brando à Erbalunga, en Corse, est un havre de paix. Tenue en famille, la maison accueille habitués, fidèles et nouveaux venus avec la même amabilité : voilà peu, un gugusse en Airbnb dans les parages venait y boire son café comme s’il était un client. Il a réclamé l’accès au Wifi. Refusé poliment car pas client et règlement sévère à ce propos. Ire et courroux du gaillard qui a planté un avis ravageur sur l’hôtel en se plaignant que le patron l’avait molesté. On fait quoi contre ces crétins ?

-Bel hôtel à Paris, Rive-Gauche. Un couple de Hollandais ayant booké en ligne se présente accompagné de deux ados géants qu’ils prétendaient faire dormir dans leur chambre en faisant ajouter deux lits pour enfants. Et ainsi ne pas raquer de supplément. Aucune chambre n’était assez grande pour être transformée en dortoir à bataves. Dans leur petite tête de radins, ils avaient misé sur un upgrade de chambre et mal calculé leur coup. Ils sont partis et le lendemain, ont incendié l’hôtel sur TA sans y avoir séjourné. À ce propos, le site n’interdit pas cette attitude bien peu loyale ? Non, répondent les hôteliers : il suffit qu’un quidam téléphone à l’hôtel, demande une chambre, que l’hôtel soit complet, il peut légitimement nous flinguer en écrivant avoir été mal reçu, que c’était pas vrai que c’était complet – il avait vérifié (Comment ? Ça reste gazeux), etc….Insupportable. Et dégueulasse. On comprend maintenant pourquoi plus personne ne décroche quand on appelle un hôtel au téléphone.

-TripAdvisor se la joue grosse vertueuse avec son droit de réponse officiel. L’établissement visé doit écrire, mais les trois hères qui bossent pour TA, sous-staffé à dessein sur la question ne parlent pas français et s’en tapent comme de l’an 40: leurs réponses sont à classer dans les traductions en slovaque du mode d’emploi d’un micro-ondes coréen. Une méthode comme une autre, sauf que l’influence de TA va décroissant: les avis des bouseux n’intéressent presque plus personne. Les vrais clients qui sortent et qui voyagent ont compris que c’était du flan. En visant la quantité, TA est devenu le grand bazar des petits malins retors, le miroir du mauvais goût des gens.

-Pointé le Top 20 des meilleurs restos de Paris. Rien que des gargotes. Au milieu, des ovnis curieux : le Pur du Park Hyatt est 8ème, le Gabriel de la Réserve et l’Orangerie du Four Seasons George V prennent en sandwich une crêperie du XXème arrondissement, Marche ou Crêpe. No comment. Rigolo : le message-type de remerciements du Gabriel aux avis positifs truffés de fautes d’orthographes.

-De plus en plus fréquent : des couples qui s’emmerdent au resto et qui cherchent la petite bête. Je suis avocat, blabla tandis que madame filme avec son smartphone la conversation avec le proprio, le chef ou le patron. Interdit mais ça ne la gêne pas. Elle a tous les droits. Il faut des nerfs d’acier pour supporter des tanches pareilles.

-Autant les pros repèrent à la gueule celui ou celle qui va leur pourrir la soirée dans un resto, autant c’est devenu impossible dans les hôtels. Et ce sont ceux qui n’ont l’air de rien qui se déchaînent une fois rentrés chez eux. Les pires sont les 60/70 ans, les plus virulents, surnommés les « vieux méchants Relais& Châteaux ». Une plaie, une croix… Unanime : les millenials sont plus cools et plus tolérants. Jusqu’à quand?

-Autre fléau à la réception des hôtels : ceux qui ont booké en ligne deux mois à l’avance sur Expedia pour décrocher un discount de 10% sur le prix d’une chambre double standard et qui une fois sur place, la gueule enfarinée, réclament une suite en upgrade pour le même prix sinon gare à l’avis négatif. Les mêmes tentent aussi le remboursement de leur avance sous prétexte que rien ne leur convient. Et filent dans un autre hôtel les poches pleines. Ça marche une fois sur trois. Certains font tant de scandale qu’on se couche et qu’on paie, confie un hôtelier parisien excédé qui a fini par dresser des listes noires et rouges de clients indélicats et qui circulent dans les hôtels de même catégorie de la capitale.

-Un client rentré ivre mort en son hôtel à Paris déclenche l’alarme incendie à 2h du matin. Branle-bas de combat. Le lendemain matin, un client tape sa rogne à la réception. Il n’a pas dormi, c’est de la faute de l’hôtel; il a déjà redigé sa critique incendiaire (hahaha) sur TA et acceptera de la retirer si on ne lui fait pas payer sa nuit blanche. Accord conclu : le client est reparti sans débourser un centime. À ce jour, sa critique n’a pas été enlevée. Escroc ?

-Épluché le top 20 des meilleurs restos de Venise. Les vrais meilleurs qui figurent notamment dans le City Guide Louis Vuitton -Zanze XVI, Al Covo, Estro- figurent en 13ème, 80ème et 127ème place. Les zadvisors sont de fins gourmets. Boustifaille et camping.

Personnellement, je n’ai jamais lu ou critiqué quoi que ce soit sur TripAdvisor. Jamais même consulté le site non plus. Pas intéressé, pas intéressant. Pour l’avoir ratissé superficiellement, histoire de voir, un indicible sentiment de vain remplissage m’a gagné. Trop de tout, trop de trop. Trop Advisor. Pas pour moi. En revanche, ce qui est frappant c’est de constater la schizophrénie de toute une génération post-68 qui a lutté contre les notes à l’école, discriminantes, gnagnagnégné, et aujourd’hui ne fait plus que ça. Follement, névrotiquement, noter, saquer, flicanasser comme les vrais petits profs ratés, aigris, revanchards qu’ils ont détestés. Cette névrose de la notation aura pour sûr réveillé une sale fibre délatrice. À la prochaine guerre, on sera tous dénoncés. Donner un pouvoir sans contrôler les abus de pouvoir, c’est la prouesse du digital, des plates-formes, des réseaux sociaux, et aussi de l’Élysée si on suit quelque peu l’affaire Benalla.